Quantcast
Channel: Printemps Français - On ne lâche rien ! » manipulation
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Il faut sauver l’enfant Truman

$
0
0

 

« Dès que l’homme essaie de bâtir le Paradis sur la terre, cela fait tout de suite un enfer très convenable ». De ce truculent paradoxe formulé par Claudel, Peter Weir (1) donne une illustration possible dans The Truman show. Cependant, l’intérêt de ce film pour notre propos réside dans une analogie avec certains linéaments cachés de la société que le gouvernement actuel, par la loi sur le « mariage pour tous », est en train de planifier.

D’abord, il s’agit d’une société du spectacle total. Truman est un gentil employé d’assurances, paisible et routinier. Il mène une vie sans accroc sous le ciel d’une cité qui semble paradisiaque. Mais l’on ne tarde pas à découvrir qu’en réalité, il est à son insu la vedette du plus grand spectacle de téléréalité jamais diffusé. Filmé avant même de voir le jour, il a été conçu - au sens où l’on dit qu’un produit est « conçu » dans un bureau d’étude - pour être le héros d’une série qui se déroule dans l’immense décor de cinéma qu’est la ville artificielle de Sea Haven, dont Christof, le démiurge de la série, tire tous les fils et contrôle les moindres détails.

Le deuxième aspect, c’est celui de la surveillance intégrale. La vie de Truman est percluse de caméras cachées qui enserrent de tous côtés ses moindres faits et gestes. Elle se déroule tout entière sur un plateau dont le décor est un fil d’Ariane omniprésent et invisible à la fois, aussi discret qu’efficace, fait pour guider ce comédien malgré lui comme dans une ornière. Il est donc aliéné dans la mesure même où il se croit libre. Ces deux dimensions s’impliquent mutuellement : la logique du « show-business » entraîne un voyeurisme sans limite.

Ce qui nous mène au troisième aspect, celui de la dictature du marché. Le film est émaillé de spots publicitaires du type « placement de produit » que sa pseudo-femme, Meryl, met en scène de manière impromptue. Truman est fréquemment récupéré par des acteurs qui le font poser pour valoriser leurspublicités à l’écran. Mais ces faits ne forment que l’écume d’un phénomène beaucoup plus profond.

Car en définitive, c’est surtout Truman qui est un produit de la société de consommation. Quand le suprême produit du marché est un humain, on atteint le comble du libéralisme.

Enfin le dernier aspect, essentiel pour notre propos : l’escamotage de l’Origine. C’est lui qui est le noeud où les trois précédents viennent s’entremêler. La vie de Truman lui a été confisquée, telle est la cause du drame qui a commencé lorsqu’il est « né sous X ». Et cela ne s’est pas fait par hasard. Il a été délibérément soustrait à ses parents pour être injecté dans la trame d’une vie tissée par des mains étrangères à sa filiation réelle. C’est le type même de cet enfant « social » dont on a violé les racines, transgressant d’un seul et même geste inique l’intimité familiale et l’intériorité individuelle, subvertissant l’inaliénable conscience que cet enfant devrait avoir de sa propre histoire. Ainsi Truman n’est qu’un jouet, une figurine que l’on manipule au gré d’un scénario dont le sort est réglé d’avance, à quelques détails prêt.

L’anxiété du héros gravite autour de ce point aveugle : l’énigme de son origine, dont on pourrait dire ce que Pascal a écrit du péché originel : « le noeud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. » (2) Truman ne sait ni qui sont ses vrais parents, ni quelle est son identité réelle. Comme bientôt des milliers d’enfants, sa vie confortable repose sur l’escamotage concerté de la filiation qui l’enracine dans un réel devenu totalement inaccessible pour lui, n’était la grâce de cette femme dont il est tombé amoureux, et qui, avant de disparaître derrière le décor, tente vainement de lui révéler la vérité. Mais ce qui n’était qu’un scénario ingénieux est sur le point de devenir une réalité politique.

 

1- Le scénariste de Peter Weir, Andrew Niccol, est aussi le réalisateur et le scénariste de "Bienvenue à Gattaca" : ce n'est pas un mince détail, et c'est un lien de plus entre nos différentes thématiques.

2- Pascal, Pensées, numéro 434 de l’édition Brunschwicg.

 

Antoine Scherrer


Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Latest Images





Latest Images